Le TÉNÉRÉ :
un monstre qui fait peur…
pour un défi en tête-à-tête !
La route du sel 555...
aller au bout de soi-même
par les Portes de l'Enfer !
Petit retour en arrière.
2 ans que j'en entends parler... 2 ans à me dire, si cette course se fait, je veux y être !
C'est en Novembre 2003, au Rajasthan en Inde que j'ai la confirmation, par l'organisateur Alain Gestin, que cette épreuve impensable aura bien lieu en Novembre 2004. Venant tout juste de finir ma première 333, me voilà déjà avec un objectif assez monumental : faire cette course de 555 km avec une balise Argos sur le dos à travers le désert du Ténéré. Une conception de suivi de course assez originale que de surveiller les coureurs par satellite !
Une première... une Transat dans le désert, là où l'eau sera remplacée par le sable, où l'humidité se transformera en sécheresse, où les embruns de mer deviendront vent de sable, où les poissons se métamorphoseront en scorpions... Mais dans le fond, seuls les éléments changent, la finalité de tous les participants sera bien la même, relier un point à un autre avec un seul impératif : le faire en moins de 216 heures !
Quelques mois passent et en juin 2004, lors d'un entraînement banal, comme des centaines d'autres que j'ai pu faire, un coup de poignard se fit sentir dans le haut dos, une énorme douleur s'en suivie. Vraiment bizarre cette douleur, car ce n'est pas un endroit où j'ai l'habitude d'en avoir, je dirai même n'en avoir jamais eu à ce niveau là.
Le lendemain une visite chez mon rhumatologue s'imposait car je n'avait pas pu me coucher la nuit. Après une radio, le verdict tombait : vertèbre D8 explosée, réduite de moitié ! Arrêt TOTAL pour 2 mois minimum. A ce moment là pour moi le moral était tombé bien bas. Déjà j'étais immobilisé (moi qui ne peut pas rester en place), assis toute la journée et dans la même position la nuit, cette 555 tant espérée était quasiment hors sujet expulsée de mes rêves d'aventures "Ténériennes", enfin c’était peut être, à ce moment là tout simplement la fin de la course à pied !
Rendez-vous était donc pris avec mon rhumatologue pour faire un contrôle au bout de 4 semaines... piqûres, médicaments et repos. Fin Juillet je me retrouvais dans son bureau, lieu que je commençais à bien connaître (mes genoux m'ont valu pas mal de visites à son cabinet) pour une radio de contrôle qui devait donner un verdict sur la consolidation de la vertèbre. Celle-ci se révéla rassurante, la consolidation était correcte, mais il m'annonça qu'il était possible de conserver pas mal de douleurs intercostales par la suite, dues au resserrement des côtes. Mais pour moi, le fait que cette vertèbre soit sur le bon chemin me redonnait un peu d’espoir pour la 555. Ce n'était pas gagné, mais il me restait quand même 3 mois et demi jusqu'à la course. Peut être que je ne pourrai pas me préparer parfaitement, mais le fait de participer simplement à cette course suffisait à mon bonheur.
Je lui demandais alors si je pouvais déjà reprendre la marche à pied. Après m'avoir regardé longuement (il commençait à bien me connaître) il me répondit oui, mais qu’aux premières douleurs je devais me calmer. Je reprenais un rendez-vous pour un autre contrôle 4 semaines plus tard.
Quatre semaines de marche... c'est dur, c'est long, ça fait mal aux fesses (surtout la première semaine) car ce ne sont pas les mêmes muscles qui travaillent, mais au cours de cette période, mon moral revenait peu à peu. Je me disais que même si je ne la faisais pas en courant, j'arriverai à faire cette 555 en marchant ! Et semaine après semaine je me sentais de mieux en mieux, je marchais de plus en plus vite, pour atteindre au bout de 4 semaines et 700 km parcourus, une bonne vitesse de marche, aux alentours de 8 km/h.
Après le deuxième contrôle chez le rhumatologue, le feu vert m'était donné pour une reprise de la course... tout en douceur. Je crois qu'il se doutait bien, que la douceur ne durerait pas longtemps avec moi sachant à quel point je désirais faire cette course, il sentait bien que j'essaierais de rattraper le mois de retard que j'avais pris sur ma préparation pour effectuer une telle course. En me quittant il me dit qu'il espérait bien ne pas me revoir d'ici novembre !!!
Pas le choix, j’étais obligé d'y aller en douceur, car la reprise fût vraiment dure, toute la marche effectuée m'avait fait travailler d'autres muscles et réduire la foulée, aïe, aïe, aïe les tendons ! Les douleurs au dos et aux côtes promises étaient bien présentes, mais s'estompaient au fur et à mesure et au bout de 3 semaines de bitume, je décidais d'aller m'entraîner dans les bois. Mauvaise idée ! Au bout de 3 jours, je me retrouvais complètement immobilisé chez moi le soir, ne pouvant plus bouger pendant plusieurs heures. Alors la suite se fit totalement sur le bitume autour du Cap d'Antibes, heureusement que cet endroit était superbe et courir avec la mer à ses côtés n'était vraiment pas désagréable, surtout le soir au coucher du soleil. Il y a vraiment pire comme conditions d'entraînement. Mais le bitume à la longue, ça fait mal... aux genoux !
Bref, dans les bois c'est le dos, sur la route ce sont les genoux, mais peu importe, je cours et chaque jour passé me rapproche du départ.
Beaucoup penseront que je suis complètement "maso", courir comme je le fais en ayant autant de problèmes physiques ! Mais ai-je le choix ? Oui c'est vrai je l'ai, je peux me dire "basta" et mettre les chaussures au placard. Mais avec la course à pied et l'ultra en particulier j'ai retrouvé :
1- une(des) forme(s) physique(s) respectable(s),
2- j'y ai découvert un style d'épreuves envoûtantes, qui m'attirent de plus en plus et qui me font sortir du quotidien. Faire des choses "hors du commun" me donnera plus tard, j'en suis sûr, une énorme satisfaction d'avoir fait cela dans ma vie, car on ne vit qu'une seule fois et j'ai eu trop d'exemples autour de moi de personnes disparues beaucoup trop tôt n’ayant certainement pas pu faire tout ce qu'elles auraient eu envie de faire.
Tant que j'estime ne pas mettre mon avenir (ma santé) en jeu, malgré les "douleurs" je continuerai. Ces courses d'ultra me font voyager, découvrir d'autres pays, d'autres civilisations (même si ce n'est qu'un aperçu rapide), connaître des gens qui ont la même passion que moi. Pour cela je continuerai à assouvir cette passion.
A J-15, au cours d'une sortie prévue de 40 km au bout du 20ème km un nouveau coup de poignard mais... au mollet cette fois. Arrêt immédiat de cette sortie et de nouveau la gamberge ! Une même douleur au mois de février s'était traduite par une déchirure au mollet ! Cette fois plus de peur que de mal, car le lendemain j'ai pu recourir normalement, mais la peur de la blessure maintenant ne me quittait plus, cela en devenait une obsession ! Pendant deux semaines chaque petite contrariété musculaire ou articulaire devenait énorme au point de ne plus savoir si j'étais prêt pour cette course et combien de kilomètres j'allais pouvoir y faire !
Samedi 30 octobre 2004, enfin le départ.
5H30 du matin, je me retrouve à l'aéroport de Marseille en compagnie de Francis Magoni et de Jacques Morel, tous deux connus une année plus tôt lors de la 333 au Rajasthan. Après quelques cafés et pas mal de souvenirs remémorés, nous embarquons dans l'avion venant de Paris pour y retrouver les 27 autres coureurs embarqués à Paris. Au total, nous serons 30 concurrents pour effectuer cette 1ère mondiale qu'est cette traversée du Ténéré. Beaucoup de visages connus dans cet avion, embrassades, discussions, le voyage se passe rapidement jusqu'à Agadez que nous atteignons en fin de matinée.
Débarquement : ça commence à s'entasser à droite de l'aéroport, mais le retard du départ a été rattrapé en vol.
Maintenant nous rentrons dans le rythme africain, "pas pressé"... "foutoir organisé" dans cet aéroport ou l'informatique est quasi inconnue et où tout se fait manuellement. Ouverture de tous les bagages pour le plaisir de nous les faire ouvrir !
Après une bonne heure pour le débarquement nous rejoignons notre hôtel. Repas dans une petite auberge voisine et un après-midi consacré à prendre connaissance avec notre matériel logistique que nous devons porter dans notre sac à dos pour la course : Balise satellite IRITRACK et GPS. Petite surprise quand même, cette balise que l'on nous annonçait d’1 kilo en fera en définitif DEUX ! Quelques grognements se firent entendre, mais le poids sera le même pour tout le monde.
Un petit montage photo pour vous présenter tous les acteurs de cette première... que de souvenirs...
Après une installation rapide à notre hôtel, premier briefing de Michel sur le fonctionnement des balises.
Après le souper tout le monde regagne sa chambre pour une dernière nuit dans le confort, car dès le lendemain elles se passeront toutes à la belle étoile dans le désert.
Dimanche 31 octobre 2004, 10 heures du matin.
Petit embouteillage dans la cours de l'hôtel avant le départ.
Une dizaine de 4x4 nous attendait au bas de l'hôtel pour une longue remontée de notre parcours dans le sens inverse vers notre point de départ que sera la ville de Bilma, située à 600 km de là. Nous ferons ainsi toute la piste de l'AZALAI (Azalaï signifie en Tamacheck, la langue Touareg, le voyage entrepris chaque année par les longues caravanes de chameaux traversant l'Aïr et le Ténéré à la recherche de sel et de dattes en échange de précieuses céréales). Ces caravanes peuvent aller de quelques dizaines à plusieurs centaines de chameaux, voire pour la plus grande un peu plus d'un millier. Elles mettront environ 18/20 jours pour effectuer leur traversée. Espérons pour nous, cela un peu plus rapide !
Le convoi est en route et nous sommes déjà dans le vif du sujet.
C'est à 40 km d'Agadez que se situe le point de ralliement pour toutes ces caravanes, au dernier point d'eau avant le désert : le puits de BENABO. Cet endroit sera pour nous, notre point d'arrivée après notre traversée.
Au puits de Benabo, les chameaux font le plein en eau. Le rassemblement des caravanes commence ici et pour nous la fin de notre périple. Toute la préparation se fait en famille, femmes, enfants. Tout le monde s'affaire pour aider au chargement des chameaux.
Après une petite (heu... un peu longue) halte pour un pique-nique nous repartons pour notre périple. Nous remontons maintenant notre parcours et au fur et à mesure que nous avançons difficilement en 4x4, nous nous apercevons de toutes les difficultés que nous allons y rencontrer. Des pistes sablonneuses au possible, où même nos engins motorisés ont du mal à avancer. Beaucoup de haltes pour les désensabler, nous avançons difficilement. La chaleur nous montre qu'il ne faudra pas s'attendre à une promenade de santé, déjà 45°C, un océan de sable s'ouvrait devant nous, chacun en prenait plein les yeux, mais beaucoup de regards en disaient long sur l'appréhension de chacun devant toutes ces difficultés.
Première pause casse-croûte sous deux arbres providentiels car la chaleur était déjà bien présente. Et déjà Alain nous mettait dans l'ambiance de la course.
Les camions revenant de Lybie parcourent plus d'un millier de kilomètres sans interruption au milieu du désert ...avec jusqu'à 150 passagers au sommet... gare aux chutes car le chauffeur ne s'arrête pas en route dans le sable... après c'est à pied qu'il faut aller !
Encore un arrêt de notre convoi, le décor somptueux qui nous entourait nous donnait au fur et à mesure de notre avancée beaucoup d'incertitudes, d’inquiétudes et nous annonçait des conditions de course hors normes, du jamais vu pour la plus part d’entre nous.
Au bout d'une journée, toutes les stratégies de course étaient déjà remises en cause, personne ne s'attendait à autant de sable "impraticable" pour notre discipline, la course à pied. La marche sera notre compagne pendant des heures et des heures. Cette course ne sera plus une course, mais vraiment une TRAVERSEE du Ténéré ! Dure, impitoyable, où les jambes seront mises à rude épreuve dans ce sable qui se dérobe sous les pieds.
Vers 18h, la nuit tombée, notre convoi s'arrêtait enfin pour le bivouac de la nuit. Cassés, fourbus chacun a pu apprécié cette halte. Après le souper tout le monde s'allongeait pour une première nuit "Ténérienne". Cette première nuit fût pour moi le commencement de la galère, vomissements et diarrhées à répétition, le repas du midi avait fait son oeuvre pour moi. Une nuit à ne pas dormir et au petit matin c'est complètement défait, c'est transpirant et blanc comme un linge que je repartais. Vidé, épuisé je pris refuge dans le seul 4x4 climatisé du convoi, pour m'épargner en plus la chaleur de la journée à venir. Entre nausées, vomissements et diarrhées j'essayais de dormir un peu, mais je ne pouvais rien absorber ni manger. Cette journée fût difficile et le peu de ce que je voyais du parcours était toujours aussi impressionnant de beauté et de... difficultés.
Seule oasis vraiment peuplée, Fashi n'est pas un mirage et existe vraiment.
Au fond à gauche se trouve la passe pour franchir cette barrière rocheuse.
Un peu plus tard au milieu de la passe, le bivouac s'installera. Mais pour moi la cantine locale je ne la verrai que de loin !
Les premiers abords de cette oasis, nous proposent comme des petits plumeaux sortis du sable pour nous procurer "un peu" d'ombre.
Ici cette portion de sable était parfaite...
... mais il n’y en aura que trop peu, pour le reste ça ressemblait plutôt à ça... le passage des caravanes avait transformé les belles ridules en champs de labours.
Les voilà ces fameuses caravanes de l'Azalaï, des dizaines, des centaines de chameaux, le plus impressionnant c’est le silence de leur déplacement, des images au ralenti... sans son ! C'est vrai que c'est pas très beau un chameau... mais quelle grâce dans leurs déplacements.
Le convoi avançait lentement et le retard s'accumulait jusqu’à prendre une nuit et une demi journée de retard sur ce qui était prévu. Notre arrivée à Bilma au lieu de se faire le lundi soir, ne se fera que le mardi en fin de matinée.
Au fond, Bilma qui sera le lieu de notre départ.
Ici, les chameaux se regroupent en attente d'une nouvelle formation de caravane et en attente aussi de leur chargement de sel.
Cette arrivée provoque bien sûr un attroupement autour de nos 4x4. "Cadeau, cadeau, donne-moi un cadeau..." Ces quelques mots fusent de partout, les enfants sont à la recherche du moindre objet, même les bouteilles vides leur sont utiles !
Au fond de ces petits puits, les pieds dans la saumure, l'extraction des blocs de sel se fait sans interruption à la barre à mine en pleine chaleur !
Les petits "pains" de sel sont stockés, prêts à être chargés.
Pour moi, toujours le même état, aucun repas pris, la fatigue se faisait de plus en plus sentir et l'installation dans la hâte ne m'aida pas pour reprendre quelques forces, voire me reposer. Toute la dernière après midi fût consacrée à la préparation de nos drop-bag CP (petit sac contenant quelques effets personnels et autres nourritures que l'organisation se chargeait de déposer au CP demandés), à rentrer tous nos points GPS de la course, avec les nombreux risques d'erreur que cela pouvait comporter que de le faire dans la précipitation.
Cette fin d'après midi fût très pénible et la question était pour moi, vu mon état, de savoir s’il devenait raisonnable de prendre le départ de cette monstrueuse épreuve où le mental et la résistance physique doivent être à son maximum. Etant déjà sans force et dans un état mental au plus bas, tant de sacrifices de vie privée dus aux entraînements pour en arriver là à quelques heures du départ. J'en avisais le directeur de course sur ma possible non-participation. Aucune pression de sa part, il me dit que moi seul pouvait décider, que ça l'embêtait, mais que la santé passait avant tout.
Installation de notre campement la veille du départ dans une cour d'une maison locale... Un peu sardine, mais il y avait de l'ombre !
La préparation des petits sacs de CP, ça se prépare. Le PQ était de mise et j'ai vraiment eu le nez fin là dessus !!!
La balise Iritrack avec piles et ses deux antennes (scotchées sur le haut des bretelles soit un lest de 2 kg supplémentaires dans le sac à dos).
La moyenne sera donc de 7/8 kg au départ de chaque CP avec le plein d'eau.
Cette nuit de mardi à mercredi fût encore un calvaire, j'essayais de me remotiver pour prendre le départ, mais en pensant à ce parcours et ces difficultés, à la lutte permanente qu'il me fallait mener pour avancer devant ce terrifiant océan de sable où la chaleur règne en maître des lieux, où la peur d'un parcours sans fin, m'envahissait petit à petit. J'en ai même pleuré à l'idée de ne pas partir ! Le rêve allait-il être brisé d'un revers de main en un instant, comme le vent qui efface une trace dans le sable ou blanchit une carcasse de chameau.
Mercredi 3 Novembre 2004, le Départ.
L'effervescence d'un grand départ et de grandes angoisses sont palpables, des regards dans le vague, des têtes longuement baissées, chacun termine sa préparation à sa manière. Derniers préparatifs, derniers ajustages du sac, des guêtres, chacun va et vient sans trop savoir comment tuer le temps dans l’attendre le départ. Après cette nuit fortement agitée, il me revenait à moi seul de prendre ma décision. L'organisateur vint me voir et me demanda ce que j'avais décidé, je lui répondis que je partais, que j'étais venu pour cette course. Maintenant la seule différence est que mon objectif serait d'aller de CP en CP et d'aviser au fur et à mesure de mon état pour savoir si je continuais. J'étais un peu soulagé d'avoir accepté d'abandonner rapidement en m'ôtant cette pression de course et il me tardait même de partir.
Dernières vérifications, derniers moments de détente, derniers moments d’OMBRE !!!
Chacun passe le temps à sa manière en attendant le départ.
Dernières recommandations de logistique du boss.
C'est en camion que nous ferons les quelques kilomètres nous séparant du départ de la course se trouvant au pied du phare de Bilma. La 555 commence par une petite escalade pour finir dans la remorque !
Après un transfert en camion de quelques kilomètres pour rallier le point de départ au pied du phare de Bilma, celui-ci fût donné à 9h55.
Soulagement pour tout le monde et dans un cri commun tout le monde s'élança en petites foulées vers ce monstre de sable.
Les traditionnelles photos de famille pour ces 30 "cinglés" qui vont se lancer dans cette aventure unique.
Le départ est donné, le phare au loin s'éloigne et le Ténéré s'ouvre grand devant nous...
Quel soulagement de courir enfin, car les quelques kilomètres du départ s'effectueront sur du sable dur. Mais très vite au bout de ces quelques kilomètres les forces commençaient à me manquer. Je me mis donc à marcher et laissais partir beaucoup de monde, un long chemin de solitude se profilait devant moi. La chaleur commençait à monter et le sable devenait très mou car nous arrivions sur la piste des caravanes. Moralement, voir tout les autres concurrents s'éloigner devant, malgré m’être dit que cela ne serait plus une course pour moi, était toujours difficile.
Patrice Fayol dans un premier exercice d'équilibriste sur cette descente de dune. Les premières émotions commençaient !
Avec Francis Magoni comme lors de notre course commune au Rajasthan, mais bientôt il continuerait sans moi, car déjà sans force je ne pourrais pas le suivre.
Et je le regardais partir au milieu de cette mer de sable, bon c'était bien pour la photo, mais j’allais bientôt me retrouver seul.
J'arrivais au CP1 entre la 15/20ème position, mais cela n'avait pas vraiment d'importance. J'essayai alors de manger quelque chose, mais rien à faire, impossible d'avaler la moindre barre, elle ressortait immédiatement.
Au bout d'une demi-heure d'arrêt je repartais vers le CP2 en espérant pouvoir y manger un peu, car des pâtes étaient prévues sur ce CP. Plusieurs essais d'absorptions de barres se sont révélés infructueux, de plus je devais accepter de marcher pendant des heures durant entre deux CP (environ 5h en moyenne pour faire 22 km) dans ce sable qui ne voulait pas nous porter, qui s'amusait à se dérober sous nos pas. Marcher doucement pour ne pas s'épuiser trop vite et finir chaque tronçon à la limite des mes forces, voilà le challenge que je devais relever.
Les paysages grandioses défilaient lentement devant moi, mais ni le bonheur, ni le coeur n'étaient au rendez-vous. Ce défilé d'ombre et de lumière, ces dégradés du jaune pâle au ton ocre qui formaient toutes ces dunes, je ne pouvais pas les apprécier comme j'aurai voulu.
Rentrer en communion avec la nature par l'effort, c'est cette manière là que j'aime. On arrive à en faire parti, à intégrer notre présence dans ces lieux magiques en le méritant, en donnant de soi, en la respectant. En étant dans cet état d'esprit j'ai le sentiment qu'elle ne pouvait pas nous faire de mal et venait à notre secours en cas de besoin. Mais là rien de tout ça, l'effort devenait un calvaire et mon esprit était plus fixé sur mon mal être que sur ce qui m'entourait.
La marche s'annonce difficile et ceci pendant de très très longues heures et nuits !
Camouflage maxi !!!! Bandana humide pour avoir un peu de frais sur le visage et surtout respirer un peu d'humidité pour éviter de me gercer les lèvres. Un peu d'eau sur le bandana et ma respiration permettent de le garder humide pendant une bonne demie heure.
ENORME, GRANDIOSE, GIGANTESQUE
J’étais en plein dedans... le Ténéré... ENORME, GRANDIOSE, GIGANTESQUE, très très loin de tout ce que j'avais pu imaginer. Magie des couleurs, douceur des dunes, elles semblaient plutôt accueillantes ces courbes, mais... l'enfer n'était pas loin ! Il arrivait au fur et à mesure de mon avancée...
Bricolage maison, les CP se montent avec pas grand-chose.
Magie du lieu, situation irréelle pour ces caravaniers que de nous voir faire cette traversée. Le Dakar est bien loin !
...A la... 368ème dune, il faut tourner à gauche !!!
Merci le GPS, les CP sont trouvés au mètre près avec ce petit truc là !!!
C'est très péniblement en fin de soirée que j'arrivais au CP2. Ce CP je le bénissais quand même un peu, car c'est ici que j'ai pu enfin avaler mon premier repas depuis 4 jours. Une soupe, mes noix de cajou, une bonne assiette de pâtes et un pamplemousse, quel bonheur de garder tout cela dans mon ventre, enfin un peu de carburant pour mon corps. Je décidais de rester là une petite heure et de repartir vers le CP3. Je repartais quand même un peu soulagé d'avoir pu manger en espérant tout garder cette fois.
CP2, il y a du monde, mais c'est le premier repas au bout de 4 jours !!! Un petit repos s'impose pour bien le digérer et essayer de reprendre quelques forces car à ce moment de la course je suis un peu comme un Zombi et déjà bien maigre !
Durant cette première nuit, la diarrhée était toujours là et continuera encore durant 3 jours. Mais je ne vomissais plus, ce qui pour moi était énorme moralement, enfin pouvoir m'alimenter pour emmagasiner des forces à chaque CP, cela pouvait me faire continuer. J'alimente, je consomme, j'alimente, je consomme... et la course pouvait se prolonger.
La chaleur est dure dans la journée ! Est ce un mirage ???
Ne m'arrêtant pas dormir, je pouvais me maintenir aux alentours de la 12ème position, je compensais mon manque de vitesse par l'absence de sommeil, cela me gardait toujours dans la course, sans vraiment le vouloir (enfin je sais pas, inconsciemment peut être que je voulais toujours la faire). Pourtant je poussais mon corps à la limite, à chaque CP.
La deuxième journée se déroula comme la première, difficile, la température devenait encore plus élevée, les litres et les litres d'eau défilaient, entre 3 et 4 litres par CP. Je faisais course commune sur quelques kilomètres avec des coureurs différents à chaque fois que je pouvais en "choper" un, mais jamais très longtemps, chacun sa vitesse mais la mienne n'était pas bien élevée. Mais j'avançais toujours et déjà quelques concurrents commençaient à coincer avec cette chaleur. Le fait d'en reprendre un ou deux était un petit coup de pouce pour le moral... et si ils coinçaient tous ?... On se motive comme on peut !
En arrivant au lever du jour de la deuxième nuit à l'Oasis de FACHI (CP 7 - 160ème km) je sentais bien que je ne pouvais plus continuer ainsi. La fraîcheur du matin m'incita quand même à effectuer un CP supplémentaire.
Jusqu'à cet endroit, les paysages "dunaires" étaient relativement variés, mais après ce mirage que peut constituer cette Oasis, les portes de l'enfer s'ouvraient à nous. De longues lignes droites nous étaient proposées jusqu'à l'Arbre du Ténéré (333ème km) par des températures allant, voire dépassant les 50 °C.
Cette portion fut très dure pour moi mentalement, la fatigue aidant, mon corps commençait à être dans le rouge et cet immensité sans attrait me poussait à me poser la question sur le fait de continuer, pour quoi faire ? Pour prouver quoi ? Quel intérêt d'aller s'épuiser pour rallier un autre point avec cette chaleur accablante ? Mon mental est-il aussi fort que je le pensais ? C'est vraiment dans la difficulté que je parvenais à rejoindre le CP8 vers 11h. Je me souviendrais toujours de cette impression de peur ressentie à la sortie de l'oasis de Fashi devant cette immensité désertique, vraiment c'est la première fois que je ressentais ça sur une course.
A la sortie de l'oasis de Fashi, un dur moment allait venir. Le tronçon qui allait nous emmener jusqu'à l'Arbre du Ténéré avait vraiment des allures d'Enfer !
C'est avec l'idée d'en finir là que je m'allongeais, trop faible, trop chaud, trop fou pour mes moyens présents. Néanmoins je gardais quand même mon dossard (il ne faut jamais rendre son dossard) pour me laisser le choix à mon réveil après quelques heures de sommeil. Beaucoup de monde à ce CP8, 6 coureurs au repos, maintenant plus personne ne bouge entre 11h et 16h, la chaleur y est trop forte et la difficulté de se mouvoir dans ce sable mou cloue tout le monde aux CP. Après m'être restauré je fermais les yeux immédiatement pour 4 heures de sommeil.
A 16h, l'heure à laquelle j'avais demandé que l'on me réveille, je me donnais deux heures pour prendre ma décision de poursuivre ou pas. Je mangeais de nouveau quelques bricoles et préparais tranquillement mes chaussures en les protégeant contre le sable au moyen d'elastoplas. Je demandais alors comment cela se passait à l’avant de la course.
Alicja caracolait en tête suivie à un CP d'un groupe de quatre poursuivants puis d'un autre de trois un peu plus loin et un duo, ce qui me plaçait en 11ème position. Je me maintenais toujours dans cette position mais toujours au prix du sommeil. Je décidais quand même d'aller au CP9 mais sans grande motivation et presque à contre coeur. L'envie d'arrêter était toujours présente, les diarrhées aussi et la lassitude d'être toujours seul était pesante pour le mental.
Je quittais donc ce CP8 vers 18h au coucher du soleil. Mes 5 autres compagnons de CP étaient partis depuis bien longtemps déjà. Au bout de 10 km effectués toujours en marchant seul et après plusieurs arrêts "diarrhées", je m'asseyais, là, seul sur le sable et m'allongeait les yeux rivés sur cette voûte étoilée si fabuleuse et envoûtante dans le désert sans aucune pollution, là où les étoiles sont à portée de main. Je ne pouvais plus rester comme cela à errer tout seul au milieu du désert avec un simple but d'avancer et peut-être avec la sensation de me "détruire" sans vraiment d’ intérêt. Soit je déclenchais ma balise pour que l'on vienne me chercher et arrêter là cette course de démence, soit je me faisais violence mentalement pour me discipliner sur un seul et unique objectif final et non pas d'aller de CP en CP en pensant que je n'étais pas bien, que je verrais plus loin si j'arrête, mais cette fois me dire que c'est au bout qu'il fallait que j'aille.
Au bout d'une dizaine de minutes d'hésitation, enfin du positif commençait à m'envahir. Je m'étais entraîner à courir et non pas à marcher, c'est ce que je devais faire et me fixer l'arrivée comme but final, au moins je devais le faire pour ma famille, pour que tous ces sacrifices aient une finalité, ne pas les décevoir.
Cette mise au point effectuée là tranquillement seul en face moi-même, je repartais assez regonflé avec une seule idée en tête : FINIR. Même la nature me venait en aide, les kilomètres à venir était composés de sable dur, là où l'on peut courir. Sortir de cette lassitude de la marche c'est cela qu'il me fallait et c'est en trottinant que je repartais. Très vite ma foulée devenait plus souple, mon sac à dos (7/8 kg) qui jusqu'à présent était un fardeau, devenait petit à petit le métronome de ma foulée, bien ajusté à mon corps il ne faisait plus qu'un avec moi. Deux CP plus loin (CP 10), je rattrapais et dépassais mes cinq compagnons de repos du CP8 et partait pour un gros non-stop jusqu'au CP15, celui de l'arbre du Ténéré situé au 333ème km.
Discussion rapide avec le Doc car mes maux sont toujours les mêmes. D'ailleurs il ne comprend pas très bien comment je peux avancer en me vidant comme je le fais.
De temps en temps les coureurs croisent un 4x4 de l'organisation... Quel bonheur de pouvoir un peu parler à quelqu'un... Perrine tout sourire (toujours) est la fourmi ouvrière du système d'Alain, sur une course on la voie partout... Dis Perrine combien de clones as-tu ?
...
Mais très vite la solitude revient et le parcours se fera souvent seul, heureusement que les caravanes sont là !
Alternant course et marche durant de longues heures sans repos, de CP en CP mon retard sur Francis et René diminuait. Je le voyais sur les feuilles de pointage, le temps était de moins en moins important à chaque fois, jusqu'à les voir en arrivant au CP 13, furtivement et de dos, ils venaient juste de repartir, mais ils étaient là. Au CP 14 je pourrai parler avec eux. Je grappillais mon retard mais je sentais bien que je commençais à être vraiment limite physiquement. De plus, à force de ne pas me sentir bien, la solitude et la nuit me pesaient de plus en plus et maintenant un moins bien "physico mental" faisait que je commençais vraiment à avoir du mal à avancer. Je rattrapais néanmoins le groupe des deuxièmes vers 7 h du matin à l'Arbre du Ténéré.
L'arbre du Ténéré : un chauffeur a déraciné cet arbre unique en plein désert !... Une sculpture insolite désigne désormais son emplacement.
Mais cet effort aura été trop long, trop fort, trop important et c'est complètement épuisé (ma diarrhée continuait toujours) que j'arrivais en effectuant les deux derniers kilomètres... en une heure !
Ma tête, mon mental ne commandaient plus rien, et pour la première fois mon corps prenait le dessus sur le mental, il ne voulait plus aller plus loin. Je devais l'écouter, le respecter, le ménager un peu plus si je voulais finir cette traversée. Je m'écroulais à l'arrivée et mis quelques minutes pour redevenir lucide. Je me restaurais avec une grosse assiette de pâtes et demandai que l'on me réveille à 16h. Huit heures de sommeil pour recharger les "batteries" et espérer que ce repos me soit profitable pour la fin de course. Pour que j'accepte de dormir 8 heures c'est vraiment que je sentais que c'était une nécessité pour continuer ou arrêter. Durant mon sommeil, Patrice Fayol m'avait rejoint. A mon réveil, après avoir avalé une autre assiette de pâtes nous décidions de repartir ensemble. Il était bien physiquement et sa compagnie allait être un soutien pour me faire repartir et me remettre dans la course. Atout moral pour tout les deux, nous pourrions nous soutenir dans les moments de moins bien. Le moral et la sensation de me sentir mieux physiquement étaient bien là.
Avant ce petit dodo, Alain Gestin était venu me voir pour savoir comment je me sentais. Pas très fringant le Gégé, après une bonne assiette de pattes et un "plâtre" pour l'estomac le marchand de "sable" passait...
... 8 heures plus tard, je me sentais beaucoup mieux. Le temps de me "renfiler" une autre assiette de pâtes et de bien émerger de ce sommeil réparateur, la course débutait vraiment pour moi à ce moment là.
Songeur aussi Alain, une grosse responsabilité que cette course pour lui, mais l'homme est costaud (un peu "bordélique" de temps en temps) mais il assure et ça c'est rassurant.
Patrice Fayol fut mon compagnon de route pendant quelques CP.
C'est à 17h30 que nous repartions avec un superbe coucher de soleil. Point de vue course, nous avions une douzaine d'heures de retard sur le groupe des seconds et au moins 20 h sur la première. Les écarts étaient immenses, mais après une bonne "nuit" de sommeil je savais que tout était encore possible. Il restait encore 220 km, j'étais déjà revenu sur eux et je me sentais de nouveau capable. Si cette diarrhée me laissait un peu tranquille et si je profitais au maximum de mes ravitaillements, je pouvais refaire mon retard, au moins sur les deuxièmes.
C'était reparti !... Un petit cigare pour la route et la machine retrouvait enfin quelques bonnes sensations... enfin !!!
Encore quelques mots avant de repartir et une autre course commence. En quelques minutes Patrice et moi disparaissions dans un superbe coucher de soleil.
Les deux CP suivants furent très difficiles, point de vue terrain. Le sable était devenu encore plus mou, de la vraie poudreuse montagnarde. Vraiment très difficile cette portion de sable : sans aucun doute la plus éprouvante de la course. Ceci nous amena à faire plusieurs haltes durant ces deux CP pour nous reposer un petit quart d'heure par ci, dix minutes par là. Ce fut vraiment un grand soulagement que de voir le CP 17. Nous y dormirons 1 heure pour récupérer de ce surplus de fatigue et ensemble nous repartirons à l'aube. Maintenant le décor changeait, le désert devenait beaucoup plus rocailleux et pierreux, pas vraiment plus facile toutefois, car dangereux pour les chevilles, mais beaucoup plus "courant" (de courir).
Quelques petites pauses tout de même, pour photos (il faut bien ramener quelques souvenirs de ces aventures... pour faire rêver à notre retour !) ou pour souffler un peu.
Le CP suivant s'effectua donc à bonne allure mais Patrice commençait à fatiguer et à souffrir du manque de sommeil. En arrivant au CP 18, il me dit de continuer seul, qu'il devait se reposer deux ou trois heures, que je pouvais tous les remonter à l'allure où j'allais. Donc, vers 12h, je me lançais seul en pleine chaleur à plus de 50°C pour une remontée espérée, illusoire, folle, je ne sais pas mais j'en voulais terriblement dans cette portion caillouteuse, à la poursuite de Francis Magoni et de René Heintz. Enfin cette course tant espérée allait commencer. J'allais enfin pouvoir mettre à profit tous ces entraînements, courir, courir, courir... partout, dans le sable, les cailloux, les rochers, peu importe le terrain maintenant je pouvais enfin m'exprimer sur ma vraie valeur... au bout de 5 jours !!!
Chaud, très chaud, à cette heure-là de la journée. En début d'après midi la température était de 53°C et les champs de cailloux traversés renvoyaient encore plus de chaleur dans les jambes. J'étais le seul maintenant sur la course à avancer à cette heure-là. Toutefois à mi-parcours de ce CP une pause s'imposait et c'est à l'ombre (eh oui !) d'un arbre dans une petite oasis asséchée, que je prenais quelques minutes de pause. Un peu d'eau presque fraîche (re-eh oui!) car confectionnés en toile, la surface de mes porte bidons que je mouillais de temps en temps réagissait avec l'air chaud du dessus, ce qui créait du frais à l'intérieur, bizarre mais ça marchait, un petit cig..... Et je repartais sous ce soleil brûlant que je supportais pourtant sans trop de problèmes.
Le prochain CP était au pied de cette petite montagne au fond... Une bonne douzaine de km tout de même.
Mais tout allait mieux maintenant, ça courait et je me rapprochais de la tête du classement.
Maintenant le désert change peu à peu, cailloux, pierres, rochers... mais ce n'est pas plus facile d'évoluer là dedans !
En arrivant au CP 19, Francis et René étaient là pour repartir dix minutes plus tard, pendant que je « déjeunais » avec une boîte de thon, une boîte d'ananas, ma ration de noix de cajou et un pamplemousse pour faire passer le tout. Je restais à ce CP trois bons quarts d'heure pour récupérer de cet après-midi effectué dans ce désert de cailloux. Cette portion était terminée et je retrouvais du sable, mais du sable dur cette fois. Je repartais donc avec plus d'une demi-heure de retard, peu importe être déjà là, si près d'eux, me motivait encore plus. A ce moment là pour moi c'était super, j'alternais bien marche et course et le pourcentage de course augmentait au fur et à mesure que la course avançait. Avant de repartir René me demanda combien de temps j'avais mis pour faire le CP précédent et je lui répondis 4 heures, eux aussi avaient mis ce temps ce qui lui fit dire que nous tournions à la même vitesse, mais ce qu'il ignorait c'est que justement mon pourcentage de course allait en s'accentuant, que très vite les CP je les tournerais de plus en plus rapidement. Franchement je ne pense pas qu'il s'attendait à ce que je sois devant lui au CP suivant. Je ne le savais pas encore mais c'est avec cette attention là que je repartais du CP 19.
Après 22 km en plein après-midi dans les cailloux, l'appétit aidant j’avalai une bonne dose de sucre avec cette boîte d'ananas. Les traits étaient marqués mais le moral était là car dès mon arrivée à ce CP, Francis et René partaient, ce qui voulait dire que je leur avais repris presque 12 h ! Je les doublerai lors du prochain CP.
C'est reparti, maintenant c'est une course contre la montre qui s'annonce.
Le soleil commençait à se coucher quand je suis reparti, le sable était roulant et sur ce CP j'ai quasiment couru tout le temps. La fin était un peu galère avec pas mal de grands rochers plus ou moins plats, en fait assez casse gueule.... dans la nuit. Deux petites gamelles plus loin j'atteignais le CP 20. Francis et René n'étaient pas encore arrivés, je leur avais repris les 12h de retard qui me séparaient d'eux. Nous n'avions pas dû prendre exactement la même route sur ce CP car je ne les ai pas vu quand je suis passé devant. Heureux d'avoir repris ce retard je m'accordais une petite heure de sommeil à ce CP pour recharger les "batteries" car depuis le CP 15 je n'avais dormis qu'une heure et la fatigue se faisait sentir.
Quand je repartais ils dormaient encore et ainsi je me retrouvais seul en deuxième position derrière Alicja qui tenait toujours son rythme. Mais la différence désormais, était que j'allais beaucoup plus vite qu'elle en courant, conséquence l'écart qui me séparait d'elle se réduisait très vite. Les deux CP suivants je les effectuais donc en courant beaucoup, le terrain s'y prêtait et le fait de savoir que l'avance d'Alicja fondait vite, me motivait encore plus.
Au lever du jour de la dernière nuit, un ballet gigantesque de camions transportant de la contrebande de cigarettes (une bonne quarantaine) croisant un "camion people" !
En arrivant au petit matin au CP 22, l'écart avait fondu à 7 heures. Important quand même cet écart, 7 h à reprendre en trois CP (70 km). Mais quand je pense que j'avais un retard de plus de 20h, je pouvais être heureux de ce que je venais de faire et d'être à cette deuxième place. Beaucoup de monde avait dormi sur ce CP et tous m'encourageaient à continuer cette poursuite.
Pendant un moment je ne savais pas trop quoi faire, poursuivre ou finir tranquillement à cette deuxième place, car cela faisait quand même 7 CP (150 km) que je courais quasiment non-stop. Un flottement de quelques minutes m'envahissait, car vraiment je ne savais pas quelle attitude adopter et quelle tournure je devais donner à ma fin de course. J'avais beaucoup donné pour revenir, et physiquement je n’étais pas persuadé de tenir le coup à ce rythme. Certainement influencé par l'insistance des gens qui m'entouraient, je pris finalement la décision de continuer ma quête.
CP 22 : Maintenant c'était l'heure de le fameuse question : "j'y vais, j'y vais pas ?"
...Mais à voir ma tête... Il a meilleure mine le Gégé, la réponse était... "j'y vais !"
Le CP suivant se présentait comme un CP difficile avec sable, cailloux, rochers, montées, descentes... un vrai trail de 22 km !!! La température en ce milieu de matinée était encore très élevée, elle approchait déjà les 50°C. Pas un souffle d'air et le terrain très difficile me demandait encore plus d'énergie. La fin du tronçon fut vraiment dure physiquement, ça ne coinçait pas encore mais ce four extérieur était terrible sans air. Je n'ai pas eu trop de chance de le faire en pleine journée puisque, en termes de dépenses d'énergie, il serait beaucoup mieux passé la nuit. Mais sur ce genre de course on ne choisit pas trop les bons ou mauvais moments et c'est avec un immense soulagement que j'aperçu le village de TOUREYET au loin où se situait le CP 23 à son entrée.
Au bout, un temps de 3h15 pour faire ce tronçon, alors qu'Alicja l'avait effectué en 6h30 ! Encore 3h15 de repris sur 22 km, tout restait jouable pour la victoire. Qui aurait parié ça quelques jours auparavant en voyant dans quel état je pouvais être au moment du départ !
45 min de repos, puis vers 11h30 je repartais doucement pour digérer le plat de pâtes ingurgité un peu à la va vite je pense. Au bout de deux kilomètres je me remettais à trottiner en entrant dans l'immense palmeraie se situant après ce village. Là une fournaise m'attendait, pas un souffle d'air, 53°C au compteur et soudain au bout d'une dizaine de minutes, la fatigue aidant, c'est comme un chape de plomb qui me tomba dessus. Je sentis la température de mon corps augmenter précipitamment et dangereusement. Un arrêt brutal s'en suivait... C'était le gros coup de chaleur. Mon corps était bouillant, ma chair, ma tête, les bras, les jambes, tout me brûlait à l'intérieur, tout en moi était en surchauffe dangereuse, mon corps était dans le rouge. A ce moment précis j'ai eu très peur pour moi, pour ma vie, je me voyais mal parti ! Je me suis immédiatement mis à l'ombre d'un arbre, déshabillé entièrement, arrosé, ainsi que mes vêtements que je repassais et je cherchais en vain le moindre courant d'air pour me rafraîchir. Ainsi je suis resté une bonne heure à m'humidifier constamment pour faire redescendre la température de mon corps. C'était la première fois que je subissais un tel assaut de la chaleur et du soleil. Ma vie devenait prioritaire et j'abandonnai sans hésitation mon idée d'aller chercher cette victoire. Mon intégrité physique devenait la PRIORITE ABSOLUE. C'est une fois après avoir estimé que mon corps avait retrouvé un état physique presque normal que je repartais à l'économie, car j'avais utilisé beaucoup d'eau pour me rafraîchir. Je me suis alors recouvert de ma couverture de survie pour rallier le CP 24, dernier de la course en économisant forces et eau. Plusieurs arrêts ponctuaient cette fin de CP, plus des haltes de précaution mais nécessaires pour profiter pleinement de ces forces quand j'avançais. Je me suis même remis à trottiner en cette fin de CP. Arrivé je me reposais une petite heure et demi pour me remettre de toutes ces émotions.
Maintenant c'était trop tard pour espérer reprendre Alicja, je finissais donc le dernier tronçon doucement, très doucement et très fatigué. Cette fin de course fût même très éprouvante, car en passant dans un épineux, j'ai crevé la poche d'air de ma semelle et mon pied ne se posait plus correctement. Moi qui suis fragile des genoux, cette torsion forcée commençait à me faire très mal sur l'intérieur du genoux gauche, de plus la fin du parcours s'effectuait dans les traces laissées par des centaines de camions car nous étions en plein sur leur piste et là pour poser le pied à plat !!! J'ai bien dû mettre 3 heures de plus de ce qui était prévu ! La victoire était pour Alicja, Francis et René trop loin derrière pour me rattraper, je me suis laissé "berné" par cette position. Je ne forçais plus sur mes jambes, ma tête vagabondait car je n'avais plus vraiment de motivation, je savais que je finirais et j'entrais dans une routine où inconsciemment je me sentais "bien", en fait plus ça allait moins j'avançais... Galère, galère !
Mais après avoir fait le forcing, un gros coup de chaud me tomba dessus après le CP 23... Un martien dans le désert ! La couverture de survie sert par tous les temps et c'est à l'économie que je rejoignais le CP 24.
La délivrance de voir l'arrivée me procura un énorme soulagement, le bonheur d'avoir fait traversée du Ténéré se transformait en une fierté personnelle difficile à exprimer. Une petite déception tout de même d'avoir effectué cette course sans la totalité de mes moyens, mis à part le résultat, cela m’avait gâché beaucoup de plaisir, plaisir qui pour moi reste la course.
Enfin l'arrivée, une deuxième place dans de telles conditions, un résultat satisfaisant, cela aurait pu être bien pire !
Merci Monsieur Gestin d'avoir osé nous faire vivre une telle aventure, à jamais gravée dans nos mémoires.
Au petit jour, les 3 arrivants de la nuits, de gauche à droite : Alain Gestin, René Heintz, Gérard Cain, Francis Magoni et le vétéran de la course Josef Koffman qui était resté sur la course après avoir abandonné.
Ca c'est de la chaussette !!! Après avoir laissé Francis en début de course,
voilà comment je l'ai retrouvé à la fin.
Cette course je ne sais pas si elle se refera, mais je peux vous exprimer au nom des concurrents qui l'on faite, qu'elle restera pour eux un TRUC hors normes, une épreuve jamais rencontrée auparavant. Un concurrent qui avait fait la Badwater m'a dit que cette 555 fut pour lui BEAUCOUP mais BEAUCOUP plus dure que la vallée de la mort ! ça donne une idée de ce que nous avons pu faire, et je crois que tous seront fiers de l'avoir réussie. Bravo à tous.
Les mines un peu plus reposées, la soirée de clôture de l'épreuve arriva avec soulagement pour tout le monde. Mais je pense qu'on avait quand même un peu tous la tête encore dans le désert !!!! MAGIQUE.
Petite photo souvenir de notre chauffeur et coordinateur des 4x4 au Niger... Angola... C'est son prénom, eh oui !
Scènes de la vie quotidienne à Agadez (ville d'environ 50.000 habitants).